Culture

Un American Psycho au Goût des Autres

CRÉATION Festival littéraire Le Goût des Autres 2018

"Dans la lumière précoce d’une aube de mai…" Les premiers mots de l'acteur Thierry Frémont, alias Patrick Bateman, alias American Psycho, résonnent déjà d’une certaine froideur… Cette création – qui figurait parmi les plus attendues du festival – s’ouvre sur une description détaillée, marques à l’appui, de l’appartement de notre protagoniste. Le décor est posé. C’est minutieux, précis, déjà chirurgical.

Thierry Frémont incarne dès la première seconde de ce concert littéraire l’un des personnages les plus célèbres de la littérature new-yorkaise. Il glisse ses mots dans l’esprit dérangé du "golden boy" imaginé au début des années 90 par l’auteur Bret Easton Ellis. Le timbre de voix est captivant. L’effet sur le public est immédiat. Personne n’en ressortira indemne…

Pour donner corps et traduire l’esprit vide d’émotion du tueur en série, Thomas de Pourquery, artiste jazz de l’année 2017, et Supersonic font une démonstration musicale de haute voltige qui ajoute encore à la sidération. Tantôt légère malgré l’horreur, tantôt vive et pétrie de violence. Toujours jazzy. Le rythme s’emballe comme une montée sous cocaïne, et semble libérer les pulsions meurtrières récurrentes du personnage. "J’ai un couteau à scie dans la poche de mon costume Valentino…" Thierry Frémont endosse avec une facilité stupéfiante - presque angoissante - ce personnage incontrôlable. C’est clair, limpide, toujours chirurgical.

Le goût du sang

La précision de la description de l’appartement laisse bientôt place à celle d’une agression sanglante. L’ambiance musicale se fait pesante, lourde et étouffante comme un piège dans lequel on se laisserait glisser sans pouvoir faire marche arrière. La voix ferme et assurée du comédien décrit l’indicible scène de torture, et traduit la satisfaction et le plaisir du jeune trader new-yorkais : le goût du sang, la jouissance de la mort.

La vision sur scène est frappante : Thierry Frémont, calme et imperturbable, cerné de lumières rouges frénétiques, Thomas de Pourquery et les musiciens de Supersonic survoltés. Le calme au cœur de la tempête. Jusqu’à cet étrange moment d’introspection. "Je ne suis tout simplement pas là. Signifier quelque chose est difficile. Je suis une aberration. […] Il y a longtemps que la conscience, l’espoir m’ont quitté. Il me reste une sombre vérité : personne n’est à l’abri de rien."

Et puis cette grande question sur laquelle méditer autour d’un dernier verre à la maison : "Le mal, est-ce ce que l’on est. Ou ce que l’on fait" ?