Entretien
Culture

Russell Banks : "Je ne suis pas un écrivain mais un conteur d’histoires"

Festival littéraire Le Goût des Autres 2017

Figure de proue de la littérature nord-américaine depuis des décennies, Russel Banks est l’un des invités de marque du Festival littéraire Le Goût des Autres. Interview d’un romancier américain à la parole bien trempée.
 

  • lehavre.fr : Vous êtes perçu comme un écrivain politiquement et socialement engagé. Le revendiquez-vous ?

Russell Banks : D’abord, je ne me considère pas comme un écrivain mais comme un conteur d’histoires. Je décris le monde qui m’entoure avec une seule règle à l’esprit, celle d’éviter les partis pris et les jugements sentimentaux. Les personnages dont je parle dans mes romans auraient sans doute voté Donald Trump en novembre dernier, ce n’est pas pour cela que je les mets de côté. Dans mon travail de romancier, je ne m’autorise aucun jugement de valeur. En tant que citoyen américain, en revanche,  je dis ce que je pense, haut et fort.

  • lehavre.fr : Les héros de vos romans sont souvent les laissés-pour-compte de la classe moyenne. N’est-ce pas, néanmoins, une forme de parti pris ?

R.B. : Cette « middle class » pauvre, dure au mal, peu éduquée est inscrite dans mon ADN. Je l’ai vécue durant ma jeunesse. Je reste loyal à toutes ces années passées entre un père alcoolique et une mère harassée par le travail.

  • lehavre.fr : Cette Amérique-là existe-t-elle toujours en 2017 ?

R.B. : Bien sûr ! C’est même elle qui a fait élire Donald Trump. La classe des travailleurs blancs pauvres n’a pas compris les changements économiques liés à la fin de l’ère industrielle et à la globalisation parce que personne les lui a expliqués. C’est en cela qu’a failli Barack Obama : l’éducation des populations les plus fragiles. Trump a profité de leur ignorance pour leur promettre la lune. Et il a été élu.

  • lehavre.fr : Dans ce contexte sombre, comment se porte la littérature des Etats-Unis ?

R.B. : La littérature est à l’image des Américains d’aujourd’hui : riche de ses métissages et de son multiculturalisme. Les jeunes écrivains nourrissent leurs œuvres de leurs racines hispaniques, asiatiques et moyen-orientales. Leur littérature ne s’arrête pas aux frontières des Etats-Unis même si elle en parle. Elle est plus ouverte sur le monde, plus positive. C’est très encourageant.

  • lehavre.fr : Cette année, le Festival Le Goût des Autres consacre sa thématique aux littératures des Nouveaux Mondes. Est-ce que les Etats-Unis le sont encore ? Selon vous, à quoi ressemblera ce Nouveau Monde ?

R.B. : Pour les Américains, les Etats-Unis restent bien évidemment le Nouveau Monde. Ils considèrent toujours que c’est aux autres de venir les voir. Pour vous, Européens, je crois qu’en revanche, notre pays fait de moins en moins rêver. Et ce n’est pas l’élection de novembre dernier qui va arranger les choses. Le Nouveau Monde qui se profile sonne la fin de la démocratie libérale au profit d’une ère des oligarques, celle de Trump, de Poutine et de leurs riches amis hommes d’affaires.

  • lehavre.fr : Comment comptez-vous résister à cette période sombre qui s’annonce ?

R.B. : Je vais continuer à écrire ma vision du monde, à mettre en exergue des valeurs humaines sacrées comme la solidarité, la tolérance, l’ouverture à l’autre et au monde. Je suis fermement convaincu que d’ici deux ans, Trump se fera rattraper par un scandale financier ou sexuel et fera l’objet d’une procédure d’ "impeachment". Un jour, le brouillard qui est en train de tomber sur nous, se lèvera.

Ne manquez pas D'est en ouest, la rencontre entre Russel Banks et Bertrand Tavernier animée par Sylvain Bourmeau, journaliste et producteur à France Culture, dimanche 22 janvier 2017 à 14 h au Magic Mirrors.

*merci à Odile Lacoste, traductrice de Russel Banks durant le Festival Le Goût des Autres