Culture

Regards croisés Paul Auster - Siri Hustvedt : amour et littérature font un joli ménage

CRÉATION Festival littéraire Le Goût des Autres 2018

Invités d’honneur du festival littéraire Le Goût des Autres 2018, Paul Auster et Siri Hustvedt ne sont pas seulement deux des plus grands écrivains américains de notre époque. Ils forment aussi un couple très soudé où l’un est toujours le premier lecteur de l’autre.

S’il existait une version littéraire américaine de Paul et Virginie, elle s’intitulerait sans aucun doute, Paul et Siri. Marié depuis 36 ans, le couple le plus célèbre et le plus prestigieux de la littérature contemporaine new-yorkaise est aussi fusionnel à la ville que discret à la scène et sur les plateaux de télévision. C’est donc un très beau cadeau que Paul Auster et Siri Hustvedt ont offert au public du festival Le Goût des Autres, pour cette édition 2018. Sous la houlette de la journaliste Laure Adler, ils ont partagé un peu de leur vie commune d’écrivains, avec un auditoire qui, pour cette occasion unique, avait rempli à ras bord le grand Magic Mirrors. Et le moment fut délicieux tant Paul et Siri ont été spontanés, émouvants et drôles.

Un vrai coup de foudre

Il y a beau s’être écoulés 37 ans depuis leur première rencontre, celle-ci restera à jamais gravée dans leur mémoire. Paul Auster en connaît même la date par cœur. « C’était le 23 février 1981, à New-York. Je revenais de voyage et j’étais invité le soir-même à une lecture. Je me rappelle avoir longtemps hésité avant d’y aller. A l’époque Siri était étudiante doctorante à l’université de Columbia. Un ami commun nous a présentés… et à partir de ce moment, nous ne nous sommes plus quittés ». Quand Siri Hustvedt aperçut Paul Auster pour la première fois, ce fut une véritable révélation : « J’allais quitter cette lecture quand j’ai vu l’homme le plus beau du monde parler avec un ami. Je l’ai pris à part pour lui dire qu’il fallait absolument qu’il me le présente… et voilà ! » Nouée sur le fil, cette rencontre s’est vite muée en un amour solide, tissé un an plus tard avec les liens sacrés du mariage. « Ce fut un deuxième coup de foudre, au sens propre comme au sens figuré, confie Paul dans un large sourire. Nous nous sommes mariés sous l’orage. Et au moment précis où nous avons été officiellement déclarés mari et femme, il y a eu un éclair doublé d’un violent coup de tonnerre. Ca ne pouvait pas mieux tomber. »

Tout-petits déjà…

Quand deux écrivains vivent ensemble, ils parlent forcément de littérature : « Les livres ont tout de suite fait partie de notre vie, se souvient Siri Hustvedt. Nous nous sommes découverts des auteurs communs de prédilection comme Henry James ou George Eliot et d’autres sur lesquels nous étions et sommes toujours en désaccord. Mais cela a nourri des discussions passionnées. » L’amour des livres et de l’écriture, chacun, à sa manière, l’a chevillé au corps, avec l’envie, très jeune, de devenir écrivain. « A 15 ans, j’ai découvert Crime et Châtiment de Dostoïevski, se rappelle Paul Auster. Ce livre m’a totalement transformé au point que je me suis dit : si écrire un livre peut apporter une telle émotion, alors c’est ce que je veux faire. » Pour Siri, la vocation s’est manifestée encore plus tôt : « J’avais 13 ans et je passais l’été en Islande où, à cette époque de l’année, le soleil ne se couche jamais. J’ai lu tout un tas de livres. Et une nuit, j’ai commencé David Copperfield de Charles Dickens. Ce livre fut pour moi une véritable révélation. Il m’a réellement donné envie d’être écrivain. J’en ai même fait le sujet de ma thèse, bien des années plus tard. »

Débuts poétiques

Avant de se connaître, Paul Auster et Siri Hustvedt partageaient déjà le même amour de la poésie et la même expérience malheureuse à son encontre. « J’ai toujours écrit des histoires depuis que je suis tout petit mais j’adore la poésie, confie Paul. Entre 20 et 30 ans, elle occupait tout mon temps : j’en lisais, j’en traduisais, j’en écrivais. Et puis à la suite d’un divorce difficile, je n’ai plus réussi à écrire une ligne. Cela a duré un an jusqu’au jour où je suis allé voir la répétition d’un spectacle de danse monté par un ami. Je me suis alors aperçu que les mots n’étaient pas si puissants que ça. Le soir même, je me suis remis à écrire Chronique d’hiver. Ma vie d’écrivain recommençait… et bizarrement, mon père est mort cette nuit-là. » A quelques années près, Siri a vécu une expérience similaire : « J’avais 23 ans, j’écrivais alors beaucoup de poésie mais je détestais tout ce que je faisais. Un ami m’a alors conseillé d’essayer la méthode d’écriture automatique. Et en une nuit, je me suis mise à écrire 30 pages en prose. Je ne suis jamais revenue à la poésie. »

Critique réciproque

Comment concilier écriture et vie quotidienne, quand on est deux à écrire ? « Nous sommes deux écrivains indépendants l’un de l’autre mais nous partageons tout ce que nous écrivons, souligne Paul Auster. Nous sommes toujours le premier lecteur des manuscrits de l’autre. On se parle très honnêtement, on est très critique l’un envers l’autre. On prend en compte les avis comme les conseils. »
Cela a parfois permis d’éviter le pire, ou en tout cas le moins bon : « On a eu tous les deux, un moment où l’on écrivait le mauvais livre, explique Siri. Je me rappelle avoir écrit 200 pages et les avoir fait lire à Paul. Le style était correct mais il y avait quelque chose qui me gênait. Paul s’est également rendu compte que ça ne fonctionnait pas. J’ai tout jeté  à la poubelle. ». La réciproque fut également vraie : « En 2008-2009, j’ai cru tenir une bonne idée. J’avais écrit une centaine de pages mais je n’arrivais pas vraiment à contrôler l’histoire. Je l’ai fait lire à Siri qui m’a clairement dit que je me fourvoyais, qu’il fallait que j’arrête. Ce que j’ai fait. »

Maîtres du temps

Interrogés sur ce qui fait un bon livre, Siri et Paul sont là encore sur la même longueur d’onde. « Le grand mystère pour moi, c’est le temps, affirme Siri. Il faut que le rythme du corps entre dans le rythme de la lecture, comme une urgence qui pousse le lecteur à continuer. » Paul Auster va encore plus loin : « Plus que le temps, c’est le tempo qui importe. J’écris beaucoup avec mon corps. Je peux même dire que j’entends mes livres avant de les écrire. Quand je capture un rythme, alors le livre fonctionne. »
Maîtres du temps, Paul Auster et Siri Hustvedt l’ont assurément été durant le Festival littéraire Le Goût des Autres 2008, le suspendant à chacun de leurs entretiens comme autant de moments de grâce. Inoubliables.