Entretien
Culture

« L'amour du livre est là »

Élisabeth Daldoul, éditrice tunisienne (Elyzad), invitée du Festival littéraire Le Goût des Autres 2019

A la tête de la maison d’édition tunisienne Elyzad, Elisabeth Daldoul a choisi de publier en français des romanciers de langue arabe pour faire connaître la littérature du sud à la francophonie du nord. dans le cadre du Festival Le Goût des Autres 2019, elle animera la rencontre entre les écrivains François Beaune et Yamen Manai, programmée dimanche 20 janvier à 15 h à l’Esperluette.

  • lehavre.fr : Qu’est-ce qui vous a incité à devenir éditrice ?

Elisabeth Daldoul : Ce métier me trottait dans la tête depuis longtemps. J’ai édité mes premiers livres en l’an 2000. La période politique était assez tendue. Nous vivions sous une chape de plomb. Culturellement, il ne se passait rien en Tunisie. Le pays se recroquevillait sur lui-même sous l’influence des chaines de télévision wahhabites. Si je ne voulais pas étouffer, il fallait que j’avance ou que je parte. J’ai créé Elyzad en 2005 avec l’idée de publier des romans. A l’époque, la fiction demeurait un petit espace de liberté sans censure.

  • lehavre.fr : Pourquoi avoir choisi d’éditer des livres en langue française ?

E.D. : Le français est une langue très présente en Tunisie. Mon idée de départ était de faire circuler la littérature du sud au le nord car je n’aimais pas les a priori sur nos pays. Aujourd’hui, la ligne éditoriale d’Elyzad est restée la même : faire connaître les auteurs du pourtour méditerranéen, de la Mauritanie au Maghreb jusqu’en Palestine, afin d’établir des passerelles entre les différentes cultures.

  • lehavre.fr : Comment êtes-vous perçue en Tunisie ?

E.D. : Comme une originale ! Accueillir des auteurs non tunisiens, ouvrir l’esprit sur une autre culture à travers le roman, ça ne se fait pas. La fiction est un genre mineur en Tunisie. Mais le ministère de la Culture m’a toujours soutenue. Je suis acceptée, mes livres sont accompagnés mais je resterai toujours à la marge.

  • lehavre.fr : Comment se porte l’édition tunisienne ?

E.D. : La révolution de 2011 a libéré l’expression. Les publications se sont multipliées, notamment en matière d’essais politiques et de témoignages. Aujourd’hui, on publie toujours plus qu’on ne lit, mais les clubs de lecture se multiplient. Une génération de jeunes romanciers est en train d’émerger. L’amour du livre est là.

  • lehavre.fr : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

E.D. : Depuis 3 ans et la chute du dinar, le coût des importations a triplé. En Tunisie, dans la chaîne de fabrication du livre, tout est importé : le papier, l’encre, la colle, le pelliculage des couvertures. Même les machines sont allemandes. Le marché tunisien étant petit avec un tirage de 2 500 à 3 000 exemplaires par livre, le prix de vente a fortement augmenté, condamnant le lecteur occasionnel. Le ministère de la Culture subventionne 75% du prix du papier mais, parallèlement, il achète beaucoup moins de livres pour les bibliothèques publiques.

  • lehavre.fr : Comment voyez-vous l’avenir d’Elyzad ?

E.D. : J’aimerais accueillir plus d’auteurs issus notamment de l’Afrique subsaharienne Mais les traductions coûtent cher et ne sont pas subventionnées. Je souhaiterais également qu’Elyzad acquière plus de visibilité dans l’espace francophone et plus particulièrement au Maghreb. Aujourd’hui, un livre circule plus facilement en France qu’au Maroc ou en Algérie du fait des barrières douanières et bancaires.

  • lehavre.fr : Quel regard portez-vous sur ces 15 dernières années ?

E.D. : Je me dis que tous ces efforts n’ont pas été vains ! Le marché francophone accorde une place de plus en grande aux auteurs du sud. Nous avons gagné en reconnaissance et en légitimité. En France, les libraires et les programmateurs de festival jouent vraiment le jeu. Ils nous font confiance même si nos auteurs ne sont pas connus. C’est ce qui me fait avancer.

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