Entretien
Culture

« La jeunesse doit s'approprier la francophonie »

Olivier Poivre d'Arvor, écrivain, ambassadeur de France en Tunisie, invité du Festival littéraire Le Goût des Autres 2019

Invité du Festival Le Goût des Autres 2019, Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur de France en Tunisie et homme de lettres, est un francophile convaincu. Aux côtés de l’académicienne Danièle Sallenave, il évoquera le rôle de la francophonie et ses enjeux.

  • lehavre.fr : Quelle est votre définition de la francophonie ?

Olivier Poivre d'Arvor : C’est une communauté de valeurs qui transcende la géographie classique et permet principalement à l’Europe de communiquer avec l’Amérique et avec l’Afrique. Elle n’obéit pas à des critères de puissance. Si l’on utilisait les termes de l’Unesco, la francophonie pourrait être qualifiée de patrimoine immatériel.

  • lehavre.fr : En tant qu’ambassadeur de France en Tunisie, quelles sont les actions que vous menez en faveur de la francophonie ?

O.P.D.A. : Je suis l’ambassadeur du pays probablement le plus francophone d’Afrique. Dès l’âge de 5/6 ans, les Tunisiens reçoivent, pour partie, un enseignement en français. Parmi les actions menées, nous avons oeuvré pour que la Tunisie accueille le prochain Sommet de la Francophonie en 2020. Nous avons développé le réseau des Alliances Françaises dans le pays et nous ouvrons, cette année, l’Université franco-tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée. Nous avons également mis en place un programme de formation des professeurs de français de l’enseignement public. Enfin, nous allons doubler l’accueil dans les établissements scolaires français, soit 25 000 places d’ici 5 ans.

  • lehavre.fr : Est-ce plus compliqué de faire valoir la francophonie dans un pays qui fut colonisé par la France ?

O.P.D.A. : La Tunisie a vécu sous un protectorat français qui était beaucoup plus ouvert que ne l’a été la colonisation en Algérie. Débarrassés d’une lecture culpabilisante de l’Histoire, les Tunisiens voient les avantages d’être ouverts au monde francophone. Le terrain est fertile, les partenariats sont nombreux. Personne ne remet plus en doute la francophonie.

  • lehavre.fr : Dans la Charte de la francophonie sont inscrites la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme. Comment y souscrire sans s’immiscer dans les affaires intérieures d’un Etat ?

O.P.D.A. : Pour moi en tout cas, la tâche est facile. La Tunisie est un pays très francophone qui a fait le choix en 2011 de la démocratie, avec une constitution qui garantit les droits fondamentaux. Sur bien des sujets, on est d’accord sur à peu près tout. La démocratie est aujourd'hui chevillée aux institutions. Il n’y a pas de retour en arrière possible.

  • lehavre.fr : Selon vous, qui êtes aussi écrivain, quel rôle peut ou doit jouer la littérature dans le développement de la francophonie ?

O.P.D.A. : Un rôle essentiel. Quand les gens vous parlent de la France ils vous parlent souvent de ses auteurs : Victor Hugo, Molière, Alexandre Dumas… Le texte a encore une valeur. Il fait foi. L’ouverture de l’imaginaire par la francophonie a sauvé la France d’un renfermement national. Aujourd’hui, on lit des écrivains francophones. Ils construisent une image de la littérature française dans le monde que Senghor et d’autres avaient commencé à bâtir. La langue française est à tout le monde. Elle se transforme, s’enrichit, se modernise par l’écriture. La littérature est aux avant-postes de la création de ce continent-langue qui n’appartient plus à un seul pays.

  • lehavre.fr : Quels sont, à vos yeux, les enjeux de la francophonie ?

O.P.D.A. : L’enjeu principal est avant tout un enjeu industriel : celui du numérique et de l’industrie culturelle aujourd’hui dominés par Google, Apple, Facebook, Amazone et Microsoft. Le monde globalisé ne peut pas être un monde unique. Il faut respecter les identités des uns et des autres. La francophonie est une réponse au plat unique que serait une anglophonie dominatrice.

  • lehavre.fr : Comment voyez-vous l’avenir de la francophonie ?

O.P.D.A. : Je la vois se construire bien au-delà du cadre institutionnel et du cadre politique des états, voire même au-dela du cercle étroit des artistes, des intellectuels et des écrivains. La francophonie n’est pas seulement hors de nos frontières, elle est dans nos villes et dans nos régions. Elle doit entrer profondément dans la tête des gens, dans leur chair. La société civile doit s’en emparer. Il faut que la jeunesse s’approprie la francophonie.

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