Entretien
Culture

Ch. Ono-dit-Biot : "J'ai surnommé Le Havre (...) Manhattan sur mer"

Festival littéraire Le Goût des Autres 2018

Pour cette 7e édition du festival Le Goût des Autres, le journaliste et romancier Christophe Ono-dit-Biot, originaire du Havre, revient pour accueillir Enki Bilal, l'un des auteurs majeurs du 9e art et cinéaste aguerri. Il présentera également en direct du Havre et sur les ondes de France Culture son émission Le temps des écrivains.

  • lehavre.fr : Entre Le Havre et vous, c'est une histoire d'amitié qui dure...

Christophe Ono-dit-Biot : Depuis ma première venue, en 2014, quelques mois après la sortie de Plonger. C’était à l’invitation de Laurent Ruquier qui m’avait proposé de lire avec lui, sur la scène, la magnifique pièce de théâtre Inconnu à cette adresse, de Kressmann Taylor. Une correspondance entre deux amis que le nazisme va séparer, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Un très beau moment. Je me souviens encore que le vent, dans le silence qui passait entre les mots que nous lisions, soufflait très fort. C’était la tempête, le chapiteau tremblait et l’on entendait le bruit métallique des drisses qui s’affolaient dans les mâts des voiliers, à deux pas, le long des docks. On entend ce merveilleux bruit, qui évoque l’envie de tutoyer l’horizon, assez rarement dans un festival littéraire. Il se trouve que c’est aussi l’un des bruits de mon enfance…

  • lehavre.fr : Peut-on aller plus loin et parler d’histoire d’amour entre Le Havre, votre ville natale, et vous ?

C.O. : Le Havre c’est ma ville. J’y suis né. Amour ? Plutôt une entente évidente aujourd’hui, même si cela n’a pas toujours été le cas. Je l’ai quittée un jour parce que je l’aimais mal. Avant d’y revenir. Ma famille y vit toujours, mes enfants y viennent, et y vivent et y aiment une partie des choses que j’ai aimées pendant mon enfance. Ce que j’aime ? La proximité du sel et du béton, des supertankers qui glissent sur la mer et des ciels toujours changeants dans une palette de gris qui fascinèrent les impressionnistes, le rond des galets répondant aux courbes du Pot de yaourt de Niemeyer, l’odeur de la mer et du pétrole, parfois, le pedigree très anglais et ouvrier de la ville, avec son port et ses dockers, son foot et son rock. Le Havre c’est ma ville, oui, parce que c’est mon enfance, et que toujours me reviennent quand j’y vais les histoires de marins et d’escales que me racontait mon grand-père qui travailla sur les chantiers navals. J’avais un grand oncle qui fut imprimeur sur le France, aussi. La « porte océane » : j’adore ce nom…

  • lehavre.fr : Les littératures new-yorkaises animeront cette édition. Vous qui connaissez-bien notre ville et qui connaissez New York, qu’est-ce qui selon vous les relie ?

C.O. : C’est drôle, parce que j’ai surnommée Le Havre, en 2007, dans une Lettre au Havre que j’avais publiée dans Le Point, Manhattan sur mer. J’ai toujours trouvé en effet que le clocher de Saint Joseph avait des airs d’Empire State Building. Après, si l’on ne peut pas comparer les deux villes qu’un océan sépare - New York grouille, pulse, avec ses taxis jaunes et ses sirènes stridentes, quand Le Havre prend son temps, s’allonge le long de la mer grise – il y a en effet un écho entre elles : de grands paquebots les ont unies, jadis, et il me semble qu’il y a dans l’atmosphère le souvenir permanent de toutes ces vies humaines en mouvement qui y ont débarqué. A cause du port, Le Havre et New York sont des villes, des mondes, des villes-mondes, où l’on arrive et d’où l’on repart, sans cesse. Des lieux où les histoires ne cessent de s’écrire.

  • lehavre.fr : Vous êtes de ceux qui comptent pour le festival, et le festival peut aussi compter sur vous. En effet, pour convaincre, il faut être soi-même convaincu, et j’ai ouï-dire que vous prêtiez parfois main-forte au festival pour convaincre d’autres artistes et écrivains d’y participer ? Est-ce le cas pour cette édition et quels sont vos arguments de séduction ?

C.O. : J’ai simplement relayé auprès d’Enki Bilal le souhait de Rozenn Le Bris, directrice artistique du festival, de l’inviter au Havre. Il a accepté et j’en suis très heureux pour la ville. Elle va lui plaire, j’en suis sûr, parce que c’est une ville qui parle, aussi, aux âmes slaves…

  • lehavre.fr : Vous êtes l’auteur d’un livre d’entretiens avec lui - Ciels d’orage – que vous accueillerez sur le festival. Vers quel dialogue et voyage littéraires allez-vous embarquer le public ?

C.O. : En effet, j’ai eu la chance qu’Enki accepte, un jour, de me raconter son enfance en ex-Yougoslavie et de me livrer quelques clefs essentielles sur l’origine de son univers graphique et littéraire où les fantômes du bloc de l’est côtoient des dieux égyptiens, des amants cherchant leur mémoire, et des femmes aux cheveux bleus. Et cela a donné Ciels d’orage, issu de quarante-deux heures d’entretien comme les quarante-deux heures du voyage fondateur entre Belgrade et Paris qu’il a accompli enfant, de Belgrade à Paris, où l’attendait un père qu’il ne reconnaissait plus qu’au parfum du tabac qu’il fumait et qui imprégnait ses vêtements. Quarante deux heures pour transformer ce petit garçon en artiste, l’un des plus puissants, l’un des plus féconds, l’un des plus exigeants qu’on ait. Au Havre, juste avant sa performance avec Christophe, nous parlerons de la couleur indéfinissable qui le hantait dans son sommeil d’enfant, couleur mystérieuse qui l’a suivi en France. Nous parlerons aussi de son père, le tailleur de Tito, de sa mère courageuse, de Baudelaire et de Goscinny, de taxis volants et Blade runner, du communisme et du 11 septembre, de ses femmes aux seins bleus et de la façon dont il dessine les architectures, des villes, et des visages, de la mémoire, son grand thème, et évidemment de la capacité qu’il a à nous prédire l’avenir dans chacun de ses albums. On le voit encore dans Bug, le dernier, où il imagine que notre monde est soudainement privé de sa mémoire numérique par un bug planétaire et qu’un homme se retrouve soudainement doté de toute la mémoire du monde, et donc pourchassé par toutes les puissances existantes, géants du web, états et mafias, qui veulent mettre la main sur lui car il est l’ultime disque dur d’un savoir perdu… Et l’on tremble déjà à l’idée que, comme toutes les choses qu’il a dessinées (l'effondrement du monde communiste avant qu'il n'advienne, la disparition des Twin Towers avant que Ben Laden ne s'en charge, et l’apparition de « l'homme augmenté » par la technologie et sa mégalomanie d'immortalité), cela puisse se produire… On parlera de tout cela. On entrera aussi dans ses dessins !

  • lehavre.fr : Vous animerez également en direct depuis la scène du festival votre émission de France Culture Le temps des écrivains. Quel programme réservez-vous à vos auditeurs ? Qu’aura-t-elle de spéciale ?

C.O. : Oui, et je suis très excité à l’idée de la faire en direct, en public, depuis la ville de mon enfance. J’y ai convié Maylis de Kerangal, que les Havrais connaissent bien, et Siri Hustvedt, écrivain new yorkaise, et accessoirement la femme de Paul Auster, pour un dialogue d’une heure entre ces deux femmes qui écrivent, ces deux univers, ces deux villes, New York et Le Havre qui, le temps de cette émission, se parleront par delà l’Océan Atlantique. Il sera question d’écrire quand on est une femme, de l’influence d’une ville sur un tempérament d’écrivain, sur un imaginaire aussi.

  • lehavre.fr : Enfin, vous êtes l’auteur de six romans, régulièrement primé…en 2017 était édité votre dernier roman Croire au merveilleux. Et pour 2018, envisagez-vous l’écriture d’un nouveau roman – si ce n’est pas déjà le cas ? Et sur quel sujet ou thème ?

C.O. : Je n’envisage pas. J’écris. C’est un texte. Et il est en gestation. Cela prendra du temps. Et ce ne sera pas en 2018. Mais il y aura, comme toujours, dans les pages, quelques ciels havrais, changeants et stimulants, électriques parfois…

Retrouvez Christophe Ono-dit-Biot en ouverture de la Grande Nuit du Goût des Autres, pour un dialogue avec Enki Bilal, samedi 20 janvier à 19 h au Magic Mirrors I. Et sur France Culture en live et en public pour son émission Le temps des écrivains, samedi 20 janvier de 17 h à 18 h au Magic Mirrors 2. Entrée libre dans la limite des places disponibles.